extraits de Son@rt 004

John Giorno : Life is a Killer
enregistré à Paris, Agnès B. 1999

Just say no to the family's values :

Andy Warhol's movie Sleep (extrait) :

nterview réalisé le mardi 27 avril 1999 à Lyon

Jacques Donguy :  Quand avez-vous connu la Beat Generation, Jack Kerouac, Allen Ginsberg?

John Giorno : C’est quand je suis allé à l’université de Columbia, à Columbia College. J’étudiais la littérature. Et la littérature dans les années 50 était très conservatrice. Avec de merveilleux poètes, W. H. Auden, de grands poètes, je les connaissais. Et en 1956, un de mes amis d’une autre école m’a rendu visite pendant les vacances et m’a dit : “John, c’est quelque chose de vraiment étonnant” et il m’a donné un livre et 3 joints de marijuana. Et nous avons bu beaucoup d’alcool ces jours-là. C’était Howl d’Allen Ginsberg. Et 3 semaines plus tard, je me suis souvenu des joints. J’en ai pris un, et je me suis demandé : “Qu’est-ce que c’est que ce livre?” C’était en avril, il avait été publié en janvier ou février 1956. J’ai lu Howl. Et cela a complètement changé ma vie. Je ne savais plus quoi faire. J’étais jeune, je suis sorti précipitamment à travers Central Park. Tout ce que je pouvais faire, c’était de crier.  J’étais si excité que l’on  puisse écrire un poème qui reflétait parfaitement mon état d’esprit. Un moment de joie absolu. Allen a réellement changé ma façon de penser. Et je l’ai rencontré en 1958, 2 années plus tard, avec Jack Kerouac, Gregory Corso...

J. D. : Au cours d’une party...

J. G. : Dans cette rencontre, j’ai rencontré Allen avec Kerouac, qui était jeune, plein de fraîcheur et fabuleux, c’était très important pour moi. Mais il m’est arrivé une chose curieuse. C’était à la fin de mai 58. Je suis venu en Europe, à Londres et à Paris. Je devais être à Paris fin juin, et Allen Ginsberg, William Burroughs et Brion Gysin étaient au Beat Hotel. Et donc j’étais à Paris pour 3 semaines, à nouveau buvant beaucoup et baisant beaucoup à St Germain-des-Prés début juillet, quand je rencontre une amie, Sandra. Et elle me dit : “John, je suis à un hôtel où il y a des poètes fous!” J’avais un rendez-vous avec une personne hongroise, qui venait de Budapest. C’était au moment de la révolution hongroise. Je dis : “Oui, oui, je vais aller à cet hôtel.”  Et elle me dit : “Vous ne comprenez pas. Vous devez y aller!”  Je devais partir à Rome 3 jours après. “John, vous ne réalisez pas, vous devez y aller.” “Oui, oui, oui.” Le lendemain j’étais saoul, c’était trop compliqué et je suis parti à Rome. Et j’ai raté la chance d’être au Beat Hotel. Puis je suis rentré aux Etats-Unis. Et en 1961,  j’ai  connu  Allen  Ginsberg  à  New York. Dans ces années-là, c’était très petit. Le monde de l’art et celui de la poésie étaient presque les mêmes. Il y avait très peu de monde, nous étions jeunes et nous travaillions ensemble. J’ai rencontré William Burroughs et Brion Gysin à la fin de 1964 à New York. J’ai vraiment rencontré Burroughs au début de janvier 1965, et nous sommes devenus amis.

J. D. : Dans votre nouveau poème, Memories, vous parlez autant de vécu que de littérature. Andy Warhol, c’était à la même époque?

J. G. :  J’ai eu une vie vraiment chanceuse. J’ai rencontré tout ce monde en 1961.

J. D. : La Factory?

J. G. : La Factory débute en 1963. C’est la grande différence, 1961 et 1963. J’ai connu ces peintres, Andy Warhol, James Rosenquist, et aussi Bob Rauschenberg et Jasper Johns. Et personne n’était connu. J’étais incroyablement attiré par eux, par leur énergie. Nous sommes devenus amis. C’était avant qu’ils ne deviennent célèbres. Un exemple, en 1963 un de mes amis, un peintre, a donné une fête pour mon anniversaire dans le Bowery. Parce que j’étais un jeune poète. Andy venait juste de filmer Sleep où j’ai joué, mais personne ne me connaissait. A cette fête, tout le monde est venu, Bob Rauschenberg et son petit ami Steve Paxton, John Cage, Merce Cunningham, Frank O’Hara, John Ashbery etc. Deux ans plus tard, en 1965 / 1966, tout le monde était très connu, et personne ne serait venu à cette fête. Tout a changé en 2 ans. Au début des années 60, les sculpteurs et les peintres m’attiraient par leur énergie. Tous les jours, toutes les nuits, il y avait des vernissages et nous allions dans les ateliers pour des dîners, et ma tête était éblouie par leurs travaux. C’était réellement fabuleux. La poésie avait 70 ans de retard sur la peinture, la musique, la sculpture et la danse. J’étais très jeune. Ils étaient mes exemples. Je veux dire qu’ils étaient mon inspiration. Et je me disais à moi-même, “Qu’est-ce que je peux faire avec la poésie?” En 1963, je suis devenu ami avec Allen Ginsberg. Allen Ginsberg m’aimait parce que j’étais connu, non à cause de mon oeuvre. Et cela ne me suffisait pas. C’était la même chose avec John Ashbery et Frank O’Hara. On les appelait The New York School of Poets. Ils étaient intéressés par des poètes qui écrivaient exactement comme eux. Et je n’écrivais pas comme John Ashbery. Il ne m’intéressait pas. La véritable inspiration pour moi, c’était les peintres et les sculpteurs, et les musiciens, John Cage...

J. D. : Et Brion Gysin.

J. G. : Au début de 1965, j’ai rencontré Brion et William. Et ils sont devenus la principale influence sur moi.  Brion m’a introduit aux possibilités de la poésie sonore, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Et William m’a introduit aux grands concepts de ses travaux. C’est cela qui a réellement influencé mon esprit. Et ils ont été aussi la première influence littéraire. Mais mon travail était différent. Ils sont devenus comme des professeurs, au bon sens du terme, m’introduisant à tout un monde de possibilités.

J. D. : Et l’utilisation de la bande magnétique?

J. G. : Tout de suite, nous sommes devenus très proches. Nous nous sommes rencontrés en janvier 1965, nous nous connaissions à travers des amis communs, et nous  sommes  devenus  amants.  Nous  avions   une   relation   incroyablement   proche, dormant ensemble chaque nuit et baisant chaque nuit. Et aussi, en même temps, il a influencé mon esprit. Par exemple j’ai pris avec Brion mon premier voyage de LSD à l’hôtel Chelsea. Tous les 4 jours, nous prenions du LSD. Nous étions épuisés, et nous recommencions encore et encore. Vous savez, c’était du LSD très pur et très puissant. Donc, un, nous faisions l’amour, deux, nous prenions des drogues, trois, il m’a influencé par ce qu’il faisait. A cette époque, Brion travaillait tous les jours avec William sur le Third Mind. Il a eu une énorme influence sur moi, à travers ce concept de contrôle, toutes ces choses qu’il travaillait avec William. Le début des années 60 m’a influencé, puis en 1965, rencontrant William et Brion, ils m’ont influencé, c’était un autre grand pas en avant permettant à mon esprit de s’ouvrir.

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