Son@rt n°45 (extrait)

Henri Chopin

Les raclements festoyants de Glencoe
Filmé par Silva Gabriela Beju

 

Cet audiopoème d'Henri Chopin qui a été le principal théoricien et le propagateur de la Poésie Sonore à travers la revue OU, a été interprété par lui-même à Paris le 20 juin 2002. Henri Chopin, né en 1922, venait juste de fêter ses 80 ans. La Poésie Sonore proposée par Henri Chopin va au-delà de la littérature mais sans quitter le sémantisme, donc une littérature qu'il faudrait redéfinir par-delà la limite des mots transmis par l'écriture. Wittgenstein avait déjà réfléchi au début du siècle sur les limites du langage. Chopin s'en explique clairement quand il dit vouloir retranscrire des réalités intraduisibles par le langage courant, comme ce vent à Glencoe en Ecosse qui s'engouffre en hiver entre l'Atlantique et la Mer du Nord. Ce qu'il évoque au repas après la soirée : "Ce sont des pays fabuleux. Là, tu n'as aucune partition, tu n'as aucune écriture, tu n'as rien. Tu n'as que le danger des choses. Et il y avait le vent qui sifflait dans les trous partout, c'était absolument incroyable le son qui me parvenait. J'étais là comme une sorte de galet". Et le seul moyen de retranscrire cela, c'était de se servir de la voix humaine pour faire la même chose, avec la mémoire de "cette montagne hurlante et par moments très calme". Ce qu'il appelle le "langage naturel". Donc "un art abrupt à partir des éléments".

Nicolas Zurbrugg, partant d'une réflexion sur la notion d' "aura" par Walter Benjamin, va suggérer, lors d'une conférence à Cerisy consacrée à Chopin, que les "avant-gardes techno-modernes" vont multiplier l'aura avec la technologie, ici le magnétophone. On sait la résistance de l'académie envers la culture technologique. Il se réfère aussi à Baudrillard, pour dire que si l'on regarde notre culture techno-moderne, on peut être pessimiste, mais si on regarde les choses du côté de l'utopie, les conclusions peuvent être plus ouvertes. Donc l' "aspect abyssal du langage" pour reprendre une expression de Chopin, à la fois descendre aux racines de l'écriture et aller au-delà de sa propre langue. Ou cette constatation que les écrits ne sont que 10% du réel, et que la réalité poétique est à 90% hors de l'écriture. La poésie étant selon Henri Chopin "par définition indéfinissable".

Joachim Montessuis a assuré la partie technique de la performance. Il faut savoir que les deux pistes enregistrées sur son Revox par Chopin sont très semblables, mais néanmoins différentes, la deuxième piste étant faite de mémoire. Et Chopin est comme un chef d'orchestre qui dirige par ses indications gestuelles le niveau sonore de l'une et l'autre piste, comme s'il dansait la langue.

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